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Return to Equinoxes, Issue 1 : Printemps/Eté 2003
Article ©2004, Meadow Dibble-Dieng

Absence monstrueuse

de Meadow Dibble-Dieng

Les vrais monstres - les plus affreuses aberrations que la nature ait produites - ne sont ni vrais, ni naturels, mais sont plutôt de pure facture humaine. Ils doivent ainsi leur belle pérennité dans l'imaginaire collectif à une seule caractéristique essentielle : l'absence.

Avouons qu'ils se font très rares, ces vampires, ces Méduses, ces Hippocampéléphantocamélos1 et ces extraterrestres de toute espèce. Pour que quiconque nous paraisse étrange et menaçant, il suffit qu'il s'absente ; son image aura ainsi l'occasion de se distordre, de s'immiscer et de croître dans l'esprit de chacun jusqu'à prendre des proportions extrêmes. Seulement alors ces êtres peuvent-ils éveiller en nous la peur primordiale qui nous réduit à la somme de nos réflexes face à ce que nous percevons comme l'altérité absolue.

Sachant qu'il suffit de si peu pour basculer du côté de Dracula et de ses semblables - qu'il s'agit simplement, par exemple, de dormir le jour et de bosser la nuit - l'étudiant gradué aurait intérêt à se surveiller de près. Pendant une période d'environ cinq à sept ans, il se retire de la vie active pour se consacrer entièrement à son éclosion intellectuelle qui se produit dans le cloître de l'esprit. Chasseur de chimères, il peut facilement finir par ressembler à son sujet d'étude : un fabuleux assemblage de parties disparates qui, au lieu de parler avec cohérence, ne fait que vomir des flammes.

Nous avons créé cette revue pour éviter de devenir monstrueux. Car, comme toutes les revues, Equinoxes servira de repoussoir à cette tentation de l'absence qui nous guette sans cesse. Tout en nous rappelant à notre devoir de présence dans les grands débats comme dans la vie intellectuelle active, Equinoxes témoignera de la pertinence des jeunes chercheurs ayant choisi comme domaine les études françaises et francophones, ainsi que de la qualité du travail qu'ils proposent.

Le format de cette revue électronique sera, par contre, des plus monstrueux. Mélange hybride composé d'articles universitaires et de pages consacrées à vos poèmes, nouvelles, commentaires et critiques, chaque numéro voudra interroger les limites d'une cohabitation entre création et critique, entre pratique et theorie. Il sera surtout question de défier cette notion (répandue parmi nous) que le chercheur en lettres ne « fait » rien, à part se complaire dans de tristes soliloques.

Tout monstre, avant de nous surprendre, exige d'abord que l'on croie en lui. Il en va de même pour celui-ci. Aussi invitons-nous tous les Frankenstein en herbe à nous rejoindre dans l'elaboration de ce qui promet d'etre une belle invention collective.

1Pour Cyrano de Bergerac dans la fameuse pièce d'Edmond Rostand, c'est Aristophane qui aurait révélé l'existence d'un tel monstre.